Lescop
Live
Lescop est de retour après s’être octroyé une pause, une mise en jachère volontaire et décisive. Il y a des parenthèses électriques et heureuses. Une expérience théâtrale fondatrice Paranoid Paul mis en scène par Luc Cerruti (2022), puis quelques rôles au cinéma (Playlist de Nine Antico (2020) ou Des gens bien ordinaires, série écrite et réalisée par Ovidie). Doublée d’une échappée reptilienne comme pour retrouver le goût de la souplesse et de l’élan musical. Ce fut le cas avec l’aventure du groupe Serpent qui a permis à Mathieu Lescop de vivre les vertiges écorchés de la mue. Il fallait mordre la poussière venimeuse du glam rock, et si possible, en groupe, pour revenir à soi-même. C’est ce que nous raconte ce retour en solo toute en finesse. Lescop tel qu’en lui-même a écrit et composé ces treize morceaux, réalisés par Thibault Frisoni, architecte sonore de ce minimalisme très produit. Ensemble, ils ont effectivement réussi à écrire une réinvention de la new wave française. Crédo musical largement renforcé par le travail minutieux et sans concession d’Ash Workman au mixage. Une sorte de continuum dans cette géographie musicale tout en relief où LCD Sound system, Alex Cameron ou Metronomy se croisent toujours sur le dance floor de Lescop pour mélanger leur pas de danse. La tête et les jambes, comme l’illustre « Elle », mantra électronique, sous influence « Trans Ultra Vox ».
Ainsi se présente Lescop d’aujourd’hui, toujours aussi charismatique, silhouette rectiligne et élastique baignée dans ce bleu électrisant, doué de cet ultra moderne magnétisme adulescent, lesté d’un programme alléchant et allégé : celui d’un « Rêve parti ». Et déjà revenu. Grâce à lui et à ses 13 chansons, emmenées par cette voix caressante, entêtante, et maitrisée pour marteler les images d’une pensée métronomique et habitée. Naturellement. Comme s’il ne nous avait jamais quitté. Auteur inspiré (puisqu’avec lui c’est toujours par le texte que tout commence), il reconnecte avec le plaisir de l’écrit. Il se souvient du livre « Les anges distraits » de Pasolini qui lui inspire « les garçons » observant avec une fascination charnelle ces jeunes garçons entre deux éclats pubertaires. Entre violence et passion, Lescop écrit ainsi le récit de sa résurrection émotionnelle. Comme l’illustre aussi si parfaitement la chanson « Exotica », ode à l’essentialité du désir qui l’autorise aussi à creuser le thème central du disque : la dépendance. Celle-ci est aussi au cœur de « Grenadine » qui clôture l’album. Une chanson comme une lettre ouverte, constat affligé d’un amour déçu et d’une aliénation affective. « La grenadine » était peut-être le rose aux joues que cette fille a perdu. Aidée bien sûr par cette époque maligne… L’amour, toujours l’amour est aussi conjugué au feu incandescent du chant d’Izia. Cette fois Daho (« le grand sommeil ») et Dylan (« Most of the times ») sont en embuscade pour nourrir « La plupart du temps », chanson de rupture et d’appel au douloureux sevrage, lancinante, obsédante, et envoutante. L’occasion pour Lescop d’expulser ses sombres énergies, pour tourner le dos définitivement à la toxicité de certaines de ses relations. C’est le sujet de « J’ai oublié ton image », sensation précise que l’on éprouve confusément avec la disparition des souvenirs embarrassants. Le début d’une autre vie en somme. Le moment parfait de la réappropriation de lui-même où notre pop modèle se donne le droit d’être heureux. Le voilà qui évoque le plaisir de la fuite active « sur ma route », puis il nous prévient sans une once de moralité des dangers de la drogue dans « La femme papillon » tube avéré en forme d’alerte, et en duo avec Halo Maud, autre femme puissante qui était déjà musicienne de Lescop sur sa précédente tournée. Assurément, la chanson la plus darc(ienne) d’un Lescop imprégné de cette vision biblique « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là… ». Le chemin de la renaissance parle aussi évidemment du retour du sentiment amoureux « Tu peux voir », comme un plaidoyer aux amours non toxiques, renvoyant en carbone inversé à la chanson « Le jeu » comme pour mieux se souvenir des effets secondaires de l’addiction amoureuse ou charnelle.
Lescop illustre parfaitement son acte de résurrection avec « Rêve parti » qui offre son titre à l’album et donne des gages de sagesse à ce processus de réincarnation artistique et intime vers des ciels de lumières. Le temps de poser clairement cette question : « Est-ce que l’on ne continuerait pas de rêver pour inventer ? » Une question qui submerge Lescop comme chacun de nous et qui trouve sa solution dans la chanson « Effrayé par la nuit » en duo avec la voix pure et riche d’intégrité de Laura Cahen. Un titre qui évoque en souterrain la paternité de Lescop, d’un fils qui renvoie à l’impérieuse nécessité de la transmission, valeur cardinale pour retrouver le sens de l’humanité, avouant en pointillé qu’il faut apprendre à lâcher prise et accepter enfin de se laisser aimer. Le rêve parti est de fait au bout de l’écoute de cet album bien revenu.